Une ancienne ballastière devient un site écologique exemplaire dans une boucle de la Seine

Avec plus de 4.110 hectares de domaine, dont les deux tiers sont des zones naturelles, ainsi que la Seine en gestion, le Grand Port Maritime de Rouen est un acteur fortement concerné par les questions environnementales.

Le réaménagement écologique d’une ancienne ballastière (carrière en eau), à Yville-sur-Seine, en aval de Rouen, est l’illustration de cette politique environnementale. Il s’inscrit également dans le programme de reconquête paysagère du Parc Naturel Régional des Boucles de la Seine.

La ballastière a servi de site de remblaiement expérimental avec les sédiments provenant des dragages d’entretien du port maritime amont, après analyses physico-chimiques (granulométrie, métaux lourds, PCB …) pour leur acceptabilité.

Cette expérience pilote et innovante, menée en association avec les carriers, a débuté en 2000 et aboutit aujourd’hui à la création de milieux humides tourbeux, milieux de forts intérêts écologiques, rares à l’échelle nationale.

Un réaménagement écologique concerté

Le réaménagement écologique est le fruit d’un travail commun entre le Grand Port Maritime de Rouen, le Parc Naturel Régional des Boucles de la Seine Normande, Carrières et Ballastières de Normandie, la commune d’Yville-sur-Seine, les services de l’Etat, l’Agence de l’Eau Seine Normandie. Il a été décidé de favoriser le caractère expérimental en diversifiant au maximum les habitats.

Trois types de milieux humides tourbeux ont été retenus : la prairie humide, la mégaphorbiaie (végétation d’herbes hautes caractéristiques se développant en milieu humide)  et le plan d’eau de faible épaisseur.

Le remblaiement des sédiments dans la ballastière, représentant au total un volume d’environ 1 Mm3, s’est terminé en janvier 2008. Cette phase de remblaiement a fait l’objet d’un suivi scientifique rigoureux relatif à la qualité des sédiments déversés, à la qualité des eaux et à la préservation de la faune et de la flore.

Un suivi scientifique rigoureux

Les différents suivis écologiques sont assurés par le Port, en partenariat avec le laboratoire d’écologie ECODIV de l’Université de Rouen et le Parc Naturel Régional. Les résultats du suivi scientifique sont très satisfaisants et montrent une recolonisation rapide du milieu par la végétation répondant aux attentes des différents partenaires, surtout en terme de reconstitution de prairie humide, milieu riche et diversifié qui caractérise la vallée de la Seine.

Il faut noter que les suivis scientifiques menés depuis le début de l’expérimentation ont permis à la commission de suivi d’émettre un avis favorable sur l’aspect hydrogéologique de l’expérience et de valider le mode de gestion des sédiments par remblaiement permettant l’extension de cette solution à d’autres « casiers » (bassins de ballastières). Le réaménagement écologique, quant à lui, doit encore faire l’objet d’une validation par le comité de suivi.

Une réponse en terme de gestion durable

Le remblaiement de ballastière par les sédiments de dragage est un mode de gestion présentant de nombreux intérêts sur les plans économique, écologique et paysager, et qui répond à la nécessité de gestion durable des sédiments de Seine.

Il s’inscrit dans la démarche menée par le Parc de reconquête paysagère de la boucle d’Anneville-Ambourville (restauration des milieux et des paysages). Cette solution pourrait être étendue à d’autres ballastières de cette boucle, voire à d’autres boucles de la Seine

*****

Le réaménagement en détails

L’opération pilote réalisée par le Grand Port Maritime de Rouen avec ses partenaires a consisté à remblayer une ancienne ballastière, trou en eau engendré par l’exploitation du sous-sol par les carriers, avec des sédiments de dragage d’entretien de la zone portuaire rouennaise amont.

Ce mode de gestion forme une alternative au stockage traditionnel des sédiments en chambre de dépôt à terre.

Cette opération nommée « les tas dans les trous ». a un caractère expérimental novateur. Un programme de suivi scientifique a été mis en place avec l’appui des services de l’Etat et les experts.

D’ores et déjà, une prairie humide tourbeuse, une zone d’herbes hautes de milieu humide, un plan d’eau ont été constitués. Et le Grand Port Maritime de Rouen a même introduit, ce printemps 2010 sur ce site exceptionnel, des chevaux de Camargue.

Du dragage au refoulement dans la ballastière

Le remblaiement de la ballastière d’Yville-sur-Seine concerne principalement les sédiments fins de la zone portuaire amont, située entre Rouen et La Bouille.

L’extraction des sédiments fins de la Seine, nécessaire pour l’accès des navires à Rouen et ses terminaux portuaires, se fait au moyen d’une drague aspiratrice en marche dont Rouen est le port d’attache. Les sédiments sont alors stockés dans le puits de la drague et transportés sur environ 42 km de ROUEN à Yville-sur-Seine, par le fleuve.La ballastière expérimentale se situe sur le territoire de la commune d’Yville-sur-Seine, à l’extrémité sud de la presqu’île d’Anneville-sur-Seine, à une distance de plus de 1 000 m de la berge rive gauche de la Seine. Le plan d’eau de réception a une superficie de l’ordre de 11 ha et une profondeur moyenne de 8 m : Sa capacité de stockage est de l’ordre de 1 000 000 m ».

Le refoulement des sédiments depuis le puits de la drague vers la ballastière se fait par voie hydraulique grâce à une conduite rigide.

90% d’eau de Seine est pompée au poste d’accostage de la drague et mélangée aux sédiments afin d’obtenir une mixture pouvant être transportée dans une colonne à haute vitesse sur une distance d’environ 1 200 m, entre l’appontement et la ballastière.

Des dispositifs de conception entièrement nouvelle ont été mis en œuvre notamment pour l’introduction des sédiments dans le plan d’eau de la ballastière. Ainsi, une cheminée de dissipation d’énergie a été mise en place dans l’objectif de réduire la vitesse d’introduction de la mixture dans le plan d’eau et favoriser le développement de courants de turbidité sur les fonds de la ballastière.

Des pompes d’aspiration, asservies automatiquement sur la mesure des niveaux de la nappe et des plans d’eau du secteur ont assuré un retour des eaux excédentaires de surface vers la Seine. Un abaissement du plan d’eau préalablement aux refoulements des sédiments mettait la ballastière en dépression par rapport à la nappe phréatique, limitant ainsi tous risques de transferts.

.

Suivis expérimentaux

Le remblaiement de la ballastière a été autorisé au titre de la loi sur l’eau par arrêté préfectoral du 15 janvier 1999. Les premiers refoulements dans cette ballastière expérimentale ont débuté en 2000.

Un programme de suivi scientifique a été mis en place ainsi qu’un comité de suivi de l’expérimentation composé des services de l’Etat (préfecture, DREAL … ), du Grand Port Maritime de Rouen, de la commune d’Yville-sur-Seine, des associations de protection de l’environnement, du Parc Naturel Régional des Boucles de la Seine Normande, du carrier. Ce comité de suivi se réunit une fois par an pour présenter un bilan et discuter de l’opération.

Les suivis mis en place concernent:

Le suivi de la qualité des sédiments

Les sédiments dragués dans la zone portuaire font l’objet de prélèvements « in situ» avant chaque campagne de dragage afin de subir des analyses physico-chimiques de façon à juger de leur acceptabilité dans la ballastière, conformément aux prescriptions de l’arrêté préfectoral.

Les prélèvements sont ainsi réalisés:

  • en début d’année avant la campagne de dragage du printemps
  • en septembre avant la campagne de dragage d’automne

Les analyses sont effectuées par un laboratoire accrédité pour les paramètres suivants: granulométrie, densité, matière sèche, métaux lourds (Aluminium, Cadmium, Plomb, Mercure, Chrome, Nickel, Cuivre, Zinc, Sélénium, Arsenic), PCB (PolyChloroBiphényles), HAP (Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques).

Suivi des niveaux d’eau

Un suivi des niveaux d’eau en continu (instrumentation de télémesures) est réalisé au niveau de 6 points de mesure répartis dans et autour de la ballastière : un piézomètre en amont du plan d’eau (ST3 sur le schéma de principe du refoulement ciavant, deux piézomètres en aval (ST1 et ST2) la hauteur d’eau de l’étang à voile, la hauteur d’eau de la ballastière (deux points de suivi).

Suivi qualitatif des eaux

Un suivi en continu de qualité de l’eau de la nappe est effectué à l’aide d’une sonde multiparamètres installée sur les piézomètres ST1 et ST2 (1 mesure toutes les 10 minutes). Il concerne les paramètres intégrateurs de la qualité du milieu (pH, oxygène, conductivité) visant à renseigner sur l’influence des remblaiements sur la nappe, en particulier du fait d’échange entre la ballastière et la nappe.

Ce suivi est complété deux fois par an (en janvier et juillet) par la réalisation de prélèvements d’eau pour analyses en laboratoire sur 5 points de contrôle:

– l’eau de la ballastière

– l’eau de l’étang à voile: référence à proximité de la ballastière l’eau des 3 piézomètres:

  • ST3  situé à l’amont de la ballastière permet de s’assurer de la bonne qualité de la nappe en amont du site (état de référence)
  • ST1 et ST2, à l’aval permet d’évaluer l’impact de l’expérimentation sur la nappe et de s’assurer qu’il n’y a pas de transfert de contaminant provenant de la ballastière.

Les analyses ou mesures réalisées sont: COT, MES, pH, DCa, BOO, Phosphore, Chlorophylle, Nitrates, Nitrates, Ammonium, métaux, PCB, HAP, conductivité, 02dissous, Turbidité …

Suivi quantitatif des sédiments déversés

Un suivi des quantités de sédiments déposés dans la ballastière est effectué annuellement. 1 300 déchargements de drague ont été refoulés dans la ballastière, représentant une quantité totale de l’ordre de 700 000 tonnes.

La sauvegarde des poissons

Le Port a réalisé, avec l’aide des professionnels et de l’association communale, cinq pêches de sauvegarde pendant la période d’exploitation du plan d’eau. 1 260 kg de poissons ont ainsi été sauvegardés et transférés vers les plans d’eau alentours.

Le réaménagement de la ballastière en fin d’exploitation

Un groupe de travail composé de la mairie d’Yville, du Parc Naturel Régional des Boucles de la Seine-Normande, des Carrières et Ballastières de Normandie, de la Police de l’eau, de la DIREN, d’un hydrogéologue et de l’Association de Protection de la presqu’île d’Anneville, a réfléchi au protocole de réaménagement du site, aux enjeux et à son suivi.

Le réaménagement écologique du site a débuté en 2008 avec pour objectif la création de milieux humides tourbeux, milieux les plus rares et souvent les plus riches d’un point de vue patrimonial.  Compte tenu du caractère expérimental, le réaménagement a intégré trois types d’habitats différents: une prairie humide tourbeuse, une mégaphorbiaie (végétation d’herbes hautes caractéristiques se développant en milieu humide) et un plan d’eau de faible profondeur.

Prairie humide tourbeuse
Mégaphorbiaie bordée de saules (Salix alba)
Limite mégaphorbiaie - plan d'eau
Le plan d'eau de faible profondeur

Les sédiments ont ainsi été recouverts par de la tourbe (de l’ordre de 70 cm) amenée par le carrier par voie hydraulique, pour reconstituer ces milieux humides tourbeux.

Les suivis et la gestion écologique aujourd’hui

placettes expérimentales de semis

Les suivis

le GPMR a passé des conventions avec des partenaires pour la réalisation de divers suivis écologiques afin de comprendre comment la colonisation de ce néo-milieu va se faire et valider définitivement le réaménagement de la ballastière:

– Partenariat avec le laboratoire d’Ecologie de l’Université de Rouen (ECODIV) pour les suivis sur le sol (reconstitution, fonctionnement, faune), et la végétation (recolonisation, suivi de la dynamique végétale, mise en place de placettes expérimentales (semis, … ) ;

– Partenariat avec le Parc Naturel Régional des Boucles de la Seine Normande pour les suivis des insectes, des oiseaux et des plantes aquatiques

Le Port, quant à lui, assure les suivis de :

  • la nappe d’eau souterraine: hauteur d’eau et qualité chimique,
  • du plan d’eau reconstitué: hauteur d’eau et qualité chimique,
  • de la faune piscicole du plan,
  • de la topographie du site afin de contrôler l’évolution du sol et des tassements.
Chevaux camarguais au paturage sur la prairie tourbeuse

Gestion écologique

La prairie humide tourbeuse nécessite une gestion écologique afin d’éviter à terme la fermeture du milieu par boisement (développement des saules). La solution retenue est une gestion par herbivore car ce mode de gestion est beaucoup plus favorable à l’expression de la biodiversité que la gestion mécanique (fauchage).

Le choix s’est donc porté sur les chevaux de Camargue, animal rustique adapté aux zones humides. Deux chevaux acquis par le Port de Rouen ont ainsi été conduits sur le site en mars 2010.

Une convention pour la gestion, la surveillance et l’entretien des chevaux a été signée en mai 2010 entre le Port et

plusieurs partenaires:

  • la mairie d’Yville-sur-Seine qui assure la surveillance des chevaux
  • trois habitants de la commune, responsables de l’alimentation et des soins
  • le carrier (Carrières et Ballastières de Normandie) pour l’alimentation en eau de l’abreuvoir le Parc Naturel Régional des Boucles de la Seine Normande pour le contrôle de l’engraissement des chevaux.

Conclusion

Le remblaiement de ballastière par les sédiments de dragage est un mode de gestion qui présente de nombreux intérêts sur les plans économique, écologique et paysager et qui répond à la nécessité de gestion durable des sédiments de Seine.

Ce mode de gestion constitue :

  • une nouvelle voie de valorisation des sédiments de dragage du port
  • une alternative au réaménagement habituel des plans d’eau des anciennes ballastières. Il permet en outre la poursuite des exploitations des carriers qui doivent trouver des solutions de remblaiement des plans d’eau créés par leur activité
  • une possibilité de recréer des écosystèmes humides caractéristiques de la vallée de la Seine et de participer à la reconquête paysagère de la boucle

Cette solution est actée dans la Charte 2001/2011 du Parc Naturel Régional des Boucles de la Seine Normande : axe 5 du programme de reconquête et de reconversion qui indique qu’il faut développer l’expérience des « tas dans les trous ».  Elle pourrait être étendue à d’autres ballastières de cette boucle, voire à d’autres boucles de la Seine.

Avec plus de 4.110 hectares de domaine, dont les deux tiers sont des zones naturelles, ainsi que la Seine en gestion, le Grand Port Maritime de Rouen est un acteur fortement concerné par les questions environnementales.

Le réaménagement écologique d’une ancienne ballastière*, à Yville-sur-Seine, en aval de Rouen, est l’illustration de cette politique environnementale. Il s’inscrit également dans le programme de reconquête paysagère du Parc Naturel Régional des Boucles de la Seine.