
Pendant que se déroulait à Orléans le Symposium Lynx, la réalité du terrain est venue illustrer l’importance de la concertation et de la gestion objective des épisodes sensibles liés à la présence du Lynx dans nos massifs.
Depuis presque 6 mois, à Mirebel dans le Jura, un troupeau d’environ 250 moutons, brebis et agneaux semble avoir été la cible d’une douzaine d’attaques, recensées et imputables à un lynx.
Ces attaques épisodiques concernent le même troupeau. Le prédateur ne décime pas le troupeau, et se « contente » d’une proie, blessant parfois auparavant un autre animal qui s’est mieux défendu.
Prédateur discret, sans agressivité envers l’homme, le lynx consomme approximativement une grande proie par semaine, complétant son régime par des représentants de la petite faune. Le chevreuil est la proie de prédilection du Lynx d’Eurasie (Lynx boreal, lynx lynx), l’espèce présente dans le Jura Suisse et Français. (Le lynx pardelle, ou lynx ibérique est quant à lui plus petit et inféodé aux populations de lapins, et ne se rencontre encore qu’en Espagne). Cependant, divers facteurs peuvent pousser le lynx à attaquer un troupeau ovin : animal affaibli ou blessé trouvant des proies plus faciles à attrapper, territoire appauvri en proies naturelles (chevreuils) sous diverses influences, arrivée de l’animal dans un nouveau territoire ou tout simplement découverte de la facilité…
Si le lynx bénéficie d’un statut de protection, les autorités et les associations sont conscientes des préjudices portés aux éleveurs. Depuis le retour du Lynx voilà maintenant presque 35 ans, des mesures d’indemnisation financière ont été mises en place afin de compenser la prédation. Mais il faut aussi prendre en considération la colère légitime des éleveurs qui subissent des attaques répétitives et attestées de la part du prédateur. Si la perte financière est compensée, les éleveurs « honnêtes » , ceux pour qui l’indemnisation n’est pas vue comme une ressource bienvenue- ne peuvent accepter de voir se perdre le fruit de leurs efforts, car leur troupeau est leur vie, leur raison d’être personnelle tout autant qu’économique. Des solutions existent, permettant de diminuer considérablement les attaques de lynx, voire de les supprimer. La plus exemplaire est la mise en place de chiens patous, dont l’instinct naturel complété par une éducation dès leur plus jeune âge en fait de parfaits protecteurs des troupeaux.
Malheureusement, tous les éleveurs n’ont pas (encore) accepté les solutions proposées pour la prévention, et lorsque les attaques attestées dépassent un certain quota (10 en alerte, puis 11 ou 12 en déclenchement d’opération), une procédure d’élimination du prédateur impliqué peut être engagée (appelée « tir de prélèvement »). La demande est formulée auprès des autorités locales (commission départementale d’expertise), qui la valide et la transmet à la préfecture. Le cabinet du préfet prend la décision et si en cas d’accord transmet à son tour la demande au ministère qui pourra donner son feu vert pour le déclenchement de la procédure. L’ONCFS sera dans ce cas chargée de l’application de la décision par pose de pièges ou tir direct par les gardes.
En ce qui concerne la prédation subie par le troupeau de Mirebel, la commission départementale s’est réunie le 2 octobre et a transmis la demande à la préfecture. Si la préfète suit l’avis de la commission, ce qui est probable, le ministère devra à son tour prendre la décision d’éliminer le lynx incriminé.
Au delà de l’engagement que l’on peut avoir envers le prédateur et des multiples polémiques soulevées par sa présence, il est fondamental de comprendre la nécessité de préserver l’équilibre fragile entre les mesures de protection et les intérêts économiques des éleveurs. Il faut souligner dans le cas présent les préconisations de la préfecture en termes de prévention : chien patous, mesures foncières et aides au pastoralisme.
Il faut comprendre le désespoir d’un éleveur qui, attaché à son travail et à son troupeau, subit la prédation. 6 mois, c’est court et c’est long à la fois quand les choses vont mal. Tout le monde sera perdant s’il n’y a pas de recherche volontaire et positive de solutions réelles : dialogue, actions de terrain, indemnisation, translocation, protection par chiens doivent se mettre en place là où subsiste un vide actuel. Avec une vraie volonté de collaborer, en laissant de côté les intérêts particuliers et les fausses idées. Il faut diffuser la connaissance pour lutter contre les croyances néfastes mais aussi s’intéresser aux contextes humains tout autant qu’à ceux du Lynx. Un réseau est en place qui travaille pour accompagner le retour du Lynx. Des associations et des structures existent qui ont pour vocation de communiquer et d’aider. Il faut faire connaître ces actions et dépasser les clivages pour arriver à une cohabitation avec un minimum de problèmes pour les uns et les autres.
Dans le cas présent, si la perspective du pire semble hélas prédominer, des actions sont en cours visant à essayer de l’éviter, en mettant fin aux attaques tout en préservant la vie du félin. Espérons qu’elles aboutissent à une solution rapide et satisfaisante.