En 2008, NAUSICAA, le Centre National de la Mer à Boulogne-sur-Mer, crée « Planète NAUSICAA », un dispositif multimédia interactif d’information et d’éducation sur la mer et le développement durable.
Ce nouveau NAUSICAA prévoit la création d’une exposition temporaire dans la première partie du parcours de visite renouvelée tous les deux ans : autant de zoom sur certaines régions maritimes du monde à la découverte d’une mer, d’une côte, d’un archipel ou d’une île et des peuples qui y vivent. Premier rendez-vous depuis le 28 juin 2008 avec l’Exposition-Reportage sur Madagascar et le canal de Mozambique.
Sur la piste du coelacanthe
Le périple débute dans le canal du Mozambique, vers les côtes malgaches et l’estuaire du fleuve Betsiboka où pousse la mangrove.
Le canal de Mozambique s’est formé il y a 160 millions d’années quand un morceau de terre s’est détaché du continent pour former Madagascar, 4ème plus grande île du monde, ancrée à 400 km de la côte africaine dans l’Océan Indien. Les espèces présentes à cette époque lointaine ont évolué dans des conditions différentes de celles qui vivaient sur le continent proche. Ce qui explique leur endémisme et leur spécificité. Les îles coralliennes ou volcaniques qui se sont formées dans le canal ont été colonisées par des espèces venues d’ailleurs. Toutes ces îles sont fragiles : sur ces terres isolées, de taille réduite, la pression de l’homme prend une ampleur parfois catastrophique ; seule l’exploitation durable des ressources naturelles permet de lutter contre la pauvreté.
Les eaux riches en vie du canal du Mozambique abritent une faune très diversifiée et quelques créatures mystérieuses comme le cœlacanthe, ce poisson qui a traversé les âges. Véritable fossile vivant, c’est un témoin de l’histoire de la vie sur notre planète. En observant ce « rescapé de l’évolution », on s’interroge sur la faculté d’adaptation des espèces vivantes aux bouleversements écologiques que vit la Terre aujourd’hui.
Le canal du Mozambique, passage le long du continent Est africain est une région parsemée d’îles d’origine géologique variée. Les îles Eparses sont des îlots coralliens déclarés réserves intégrales. Tortues, oiseaux, poissons et mammifères y foisonnent. La richesse des eaux de la région fait vivre les pêcheurs : thons, espadons, requins alimentent les marchés du monde entier et payent un lourd tribut à la pêche industrielle.
Rencontre sur les rives de l’estuaire du fleuve rouge,
la Betsiboka, avec un responsable des pêches.
De la terre à l’océan – aujourd’hui, la terre s’appauvrit avec la déforestation, l’érosion et des paysans se tournent désormais vers la pêche. La crevette, source de richesse pour les habitants de l’île-continent, est exploitée de façon durable. Mais la concurrence avec les pays asiatiques est dure. L’Océan pourra-t-il rester ce nouvel Eldorado pour les malgaches ?
En approchant de la côte, nous apercevons les forêts de mangroves qui poussent sur le rivage. On y élève des crevettes. Car l’aquaculture permet de compléter la pêche, en contrôlant la production de ce crustacé si important pour l’économie malgache. En effet, des mesures drastiques ont été prises pour une meilleure gestion de la ressource : pas de pêche la nuit, pas de pêche pendant les trois mois de reproduction, conservation des by catches à bord et distribution aux populations, plants de mangrove, etc.
L‘interview commence : Un responsable du groupement des pêcheurs et aquaculteurs de crevettes de Madagascar nous parle de la démarche originale du gouvernement malgache.
« Des projets de gestion durable des pêcheries ont été mis en place à Madagascar pour préserver la ressource. L’attribution des licences a été réformée. Des équipements moins dangereux pour la faune marine ont été utilisés. L’aquaculture suit aussi des normes écologiques. Ces politiques doivent aider à préserver dans le long terme la crevette, source de richesses. Mais elles coûtent chères et la concurrence internationale est forte. Arriverons-nous à préserver nos ressources à long terme ? Aujourd’hui, des populations qui vivaient traditionnellement de la terre viennent pêcher dans les estuaires : pourtant les crevettes y sont trop petites et ne pourront grandir et alimenter les pêcheries du large. La production de la crevette, un temps baptisée « or rose » de Madagascar, est aujourd’hui menacée.
Nous nous enfonçons dans l’estuaire du fleuve Betsiboka, les eaux sont rouges, chargées en sédiments qui partent au large où ils étouffent les coraux fragiles. Car l’eau du fleuve emporte avec elle les terres de l’île rouge, ravagée par l’érosion. Coupable : la déforestation pour laisser la place aux terres agricoles et les mauvaises pratiques agricoles. Les sols lessivés par la pluie deviennent infertiles. Les paysans gagnent les villes ou se tournent désormais vers la pêche. Mais cette pression qui s’accentue sur l’Océan pourrait mettre en péril les précieuses ressources marines.
L’île-continent, une réserve de vie exceptionnelle
L’île-continent, est caractérisée par une mosaïque de paysages allant du désert à la forêt humide. Ces milieux abritent des ressources naturelles d’une biodiversité exceptionnelle…
Nous découvrons dans un enclos de terre rouge et sèche des tortues et un boa, symboles de la diversité des reptiles de Madagascar. Puis, nous pénétrons dans la pénombre de la forêt et entrons dans une cabane. C’est ici que les scientifiques viennent observer les secrets de la forêt malgache. Des cartes et des illustrations naturalistes sont punaisées aux murs de planches. Sur les tables, divers instruments utilisés par les chercheurs et leurs cahiers ouverts, où nous pouvons lire quelques notes : « la déforestation a provoqué la disparition des 4/5ème de la forêt – au rythme actuel, elle aura totalement disparu d’ici 40 ans… mais la diversité biologique exceptionnelle de Madagascar est aujourd’hui reconnue et de mieux en mieux protégée. »
Ici, une boîte s’adresse aux amateurs d’émotions puisque sa forme nous permet d’engager sa tête au milieu d’énormes blattes ! Par moments, retentit l’étonnant chant des indris qui couvre les bruits de la forêt. Par les fenêtres, on aperçoit des cétoines sur le sol dans la cabane du chercheur, qui se laissent admirer comme des pierres précieuses. Un bassin abrite un banc de Bedotias, petits poissons des rivières rapides de Madagascar.
Plus loin, nous observons les couleurs somptueuses d’un grand caméléon de Madagascar. Un de ses cousins, le plus petit caméléon du monde, vit aussi sur l’île continent. Puis au bord de la rivière nous admirons le Paratilapia, un autre hôte endémique des rivières malgaches.
Notre périple nous amène devant les phasmes géants particulièrement spectaculaires puis dans la pénombre de la forêt humide, de ravissantes petites grenouilles oranges, les Mantellas. Mais attention, danger ! En effet, leur couleur vive annonce qu’elles sont toxiques pour leurs prédateurs.
Rencontre sur les rivages du canal du Mozambique avec les pêcheurs Vezo,
Les « Vezos » sont les seuls malgaches à tirer toutes leurs ressources de l’océan. Rendez-vous dans un village de pêcheur, au sud-ouest de l’île de Madagascar.
En sortant de la cabane, nous descendons sur le rivage ensoleillé du sud de Madagascar. Le pays des pêcheurs Vezo.
Nous avançons sur le sable blanc puis plus loin sur le platier découvert par la marée basse. Devant nous, l’eau est transparente. Nous pouvons entendre le bruit des vagues venant inlassablement mourir sur le sable blanc. La lumière est forte. Nous pouvons admirer la richesse, la diversité de la faune vivant dans cette zone particulièrement riche du Canal du Mozambique notamment en juvéniles. Plus loin une pirogue est tirée sur la plage. Entre les palissades qui clôturent leur village, nous pouvons voir le paysage désertique qui se déploie en arrière plan du village.
Le pêcheur apparaît et l’interview commence : Nous les Vezo, on a toujours vécu de l’océan et on est les seuls dans le pays. On va dans le lagon à proximité des côtes et on capture le poisson au filet, à l’hameçon, à la senne de mer ou en apnée au harpon. Quand la marée est basse, les femmes pêchent à pied sur le récif. En hiver on embarque pour suivre les bancs de poissons en mer. On quitte le village et on campe sur la côte. Avant on ne pêchait que pour nous. Maintenant, on pêche plus et on vend le poisson, les poulpes, les holothuries et les langoustes à des camions qui passent au village pour l’acheter. Mais il y en a moins qu’avant…Dans le canal de Mozambique, la mer est riche. De juin à octobre, les baleines à bosse viennent s’y reproduire et mettre bas. On y va parfois pour pêcher des requins, des thons ou des espadons. Mais il y a beaucoup de gros bateaux qui viennent pour capturer les requins. Les pêcheurs coupent les ailerons et jettent le reste du poisson à l’eau. Alors le requin va peut-être disparaître aussi. Je ne sais pas comment on va vivre bientôt.
Grâce à des longues vues accrochées à des supports plantés dans le sable, nous pouvons voir au large les Vezo en pêche.
Rencontre avec le responsable d’un projet pilote d’aquaculture
De nombreuses initiatives ont été prises à tous les niveaux pour améliorer les conditions de vie des malgaches à long terme et lutter contre la pauvreté ; parmi elles, celles qui sont tournées vers les activités maritimes sont nombreuses : l’élevage des holothuries, la récolte du sel, la création d’aires marines protégées ou la reprise de chantiers maritimes traditionnels par exemple.
Nous observons au large des piquets qui délimitent des parcs à holothuries, ces animaux marins au corps en forme de boudin qui sont élevés pour être vendus. Les holothuries sont en effet surexploitées, or leur préservation est importante pour l’équilibre écologique du récif (ils recyclent la matière vivante). Afin de se substituer à cette cueillette à outrance, des projets pilotes d’écloserie et d’élevage ont été mis en place ici.
L’interview du responsable scientifique du projet débute : « nous avons essayé de faire un projet d’aquaculture villageoise. Grâce à un procédé que nous avons pu mettre au point, nous savons contrôler la reproduction des holothuries en écloserie toute l’année. Les animaux sont ensuite élevés dans des bacs afin de finir de grandir dans des parcs en mer. Ainsi, nous pouvons assurer un revenu aux pêcheurs sans mettre en péril la vie en mer. »
D’autres actions ont été mises en place qui pourraient être reprises dans de nombreuses régions du monde. A Andavadoaka, petit village le long du magnifique récif qui longe la côte, les pêcheurs s’accordent pour ne pas pêcher sur certaines zones afin de permettre aux poulpes de se reproduire. A Tulear, les Vezo ont repris des activités d’exploitation du sel et s’organisent pour le commercialiser. Soutenus par des associations, des chantiers maritimes, dans lesquels on construit des embarcations traditionnelles Vezo, ont repris de l’activité. Ces navires sont utilisés pour le cabotage et la commercialisation de produits le long de la côte.
Ainsi, à Madagascar et sur les rivages du canal du Mozambique, les hommes ont pris leur destin en main : pour lutter contre la pauvreté et assurer leur avenir, ils mettent en place des systèmes de gestion des ressources naturelles marines et côtières. Le développement durable des activités humaines est la garantie d’une meilleure qualité de vie pour tous les habitants de la région qui dépendent, comme partout dans le monde, de leur environnement pour survivre.
Nausicaa
Pour en savoir plus : www.nausicaa.fr