Les Ailes Brunes…

Une pollution en mer, au large de Ouistreham (Calvados) a porté atteinte fin Novembre à de nombreux oiseaux. Ce n’était pas un gros dégazage sauvage. Le pollueur n’a pas été identifié…
Pas spectaculaire, contrairement aux grosses marées noires telle celle de l’Erika, pas médiatisée non plus. Mais les dégâts occasionnés aux oiseaux n’en sont pas moins importants.

14 oiseaux atteints ont été transférés au CHENE. 8 pingouins torda, 3 guillemots de Troïl et 3 fous de Bassan. D’autres suivront certainement, ou ont été pris en charge au centre de sauvetage de la Dame Blanche (près de Lisieux), bien que celui-ci préfère les envoyer au CHENE dont l’équipe de soigneurs a acquis une grande compétence dans ce domaine bien particulier.

Alain Beaufils, le responsable du centre de soins, explique la situation et donne quelques renseignements sur les conséquences de ces pollutions.

Les oiseaux atteints et recueillis sur le littoral représentent bien moins de 1% du nombre réel d’oiseaux pollués. Ils ont d’autant plus de chances de survivre que le temps est calme et qu’ils sont amenés tôt dans un centre de soins pour y être pris en charge et soignés.

Plus que dans les salissures qui maculent le plumage, le véritable danger réside dans ce qu’ils ont ingéré. Le froid les envahit, ils sont en hypothermie et ne peuvent plus s’alimenter. Ils vont s’affaiblir, être poussés vers le bord de mer, essayer de se nettoyer pour retourner à l’eau et vivre leur vie d’oiseau. Ils ont faim, très faim, mais tous les résidus d’hydrocarbures qu’il auront avalé auront déjà commencé à attaquer le système digestif. C’est un peu comme si on avait bu une bouteille de pétrole… Les organes ne sont pas faits pour digérer çà. On note des dégénérescences au niveau du foie, les intestins sont brûlés, des pétéchies apparaissent sur les muqueuses, des hémorragies sont fréquentes et les complications s’enchaînent.

Quand les oiseaux arrivent, on essaye immédiatement de calmer tout çà en leur administrant plusieurs soins comme un pansement intestinal, un hépatorégulateur, un produit à base de fer pour compenser l’anémie liée aux hémorragies, et des vitamines. Ensuite, il faut attendre. Les oiseaux sont placés dans des bassins de soins chauffés où ils ont de la nourriture à disposition. Ceux qui sont vraiment trop atteints ne vont pas s’alimenter et mourront rapidement. Il serait inutile de chercher à les gaver.

Le lavage n’est qu’une étape ultérieure qui a pour but de débarrasser l’oiseau des salissures du plumage afin que la structure des plumes puisse se reconstituer et assurer normalement la protection du corps. Le lavage est un grand stress pour l’oiseau qui est « entravé » pour sa propre sécurité et celle des soigneurs. Il va être manipulé dans tous les sens et frotté énergiquement, ce dont il est bien loin d’avoir l’habitude !!!

L’espérance de réussite va de 0 à 90%… 90%, c’est quand les oiseaux sont immédiatement pris en charge et soignés. Par contre, plus le temps passe, plus les oiseaux vont chercher à se nettoyer eux mêmes et l’espérance de survie va très vite chuter. Cela dépend aussi des espèces, car certaines vont rester prostrées, tandis que d’autres vont tout de suite chercher à se nettoyer. Paradoxalement, ce sont les oiseaux qui restent prostrés qui auront le plus de chances de survie s’ils sont pris en charge.

Les oiseaux qui auront survécu et qui seront relâchés sont tous bagués, ce qui permettra un suivi s’ils sont capturés ou repérés ultérieurement. Mais ce sont des oiseaux pélagiques, et compte tenu du très petit nombre d’individus soignés au regard des populations, il y a très peu de chances de les retrouver plus tard sur le site d’origine ou sur le site du relâcher. On a déjà eu des reprises plusieurs années après, mais ce n’est pas représentatif.

Rien n’est simple ni acquis lors de ces opérations de sauvetage. La nature de la pollution est un facteur clé. On parle du pétrole en général, mais le terme plus exact serait « hydrocarbures ». Dans le cas présent, le polluant est vraisemblablement de l’huile hydraulique associée à un autre composant. C’est collant, une vraie « cochonnerie ».

Que faire si on trouve un oiseau atteint par une telle pollution ? Quelles précautions pour lui et la personne qui le recueille ?

D’abord pour la capture, il faut se protéger des coups de bec. L’oiseau est stressé et va chercher à se défendre contre celui qu’il considère comme un agresseur. Le mieux est de jeter dessus un linge ou une couverture qui permettront de l’entraver et de l’emprisonner sans qu’il puisse trop se débattre. Si l’oiseau est mazouté, il faut le mettre dans un carton aéré afin de laisser s’échapper les vapeurs d’hydrocarbures qui risqueraient de l’intoxiquer et de porter des atteintes pulmonaires. Ensuite, il faut l’amener le plus vite possible dans un centre de soins compétent, et surtout ne pas chercher à le laver soi-même. Le traitement est beaucoup plus interne qu’externe, et toute tentative de nettoyage sans prise en charge globale se traduira quasiment toujours par la mort de l’oiseau. Il arrive souvent qu’on soit obligé d’euthanasier des oiseaux qui ont été soignés par des particuliers car ils passent à côté de l’essentiel.

Le protocole de soins, une affaire d’expérience …

Le protocole de soins est strict : hydratation, kaolin pour protéger les intestins, administration de fer pour compenser l’anémie, soins aux pattes pour prévenir les escarres et les nécroses. La durée du séjour en centre de soins est très variable selon l’oiseau et la nature de la pollution. Un guillemot mazouté lors d’un précédente pollution a pu être remis en liberté au bout de 8 jours. Pour le groupe d’oiseaux arrivés la semaine dernière, il est évident que çà prendra beaucoup plus de temps, avec moins de perspectives de réussite.

Le CHENE a mis au point avec ses partenaires une machine à nettoyer les oiseaux mazoutés. Si elle convient parfaitement pour les oiseaux de petite taille (pingouins torda et guillemots), les fous de Bassan sont trop gros pour bénéficier de cette méthode. C’est donc à un lavage manuel qu’il faudra procéder.

Dès qu’on sort l’oiseau du carton qui a permis de le transporter depuis le bassin jusqu’à la salle de soins, on « neutralise » son bec au moyen de gros élastiques au milieu desquels on a glissé une tige de bois afin de pouvoir le manipuler et tourner sa tête pour le lavage. Les deux soigneurs ont enfilé des bottes, ont revêtu de longs tabliers imperméables et mis des lunettes de la taille d’un masque de plongée. Protection contre les éclaboussures (c’est un euphémisme…) mais aussi protection contre les éventuels coups d’un bec qui même contraint reste redoutable… Des « gants de fouille » (sortes de longs brassards utilisés par les vétérinaires lors des vêlages) habillent les bras, renforcés par des gants en latex. La séance sera effectivement éprouvante. L’oiseau stressé se débat. Il faut le maintenir fermement pour le laver en plusieurs étapes successives avec des produits adaptés aux substances polluantes. Auncun endroit du corps ne doit être épargné. Du bout du bec à celui des rectrices, d’une extrémité de l’aile à l’autre, tête, cou, dos, poitrail, ventre, pattes, tout fera l’objet d’une attention particulière. Il faudra presque trois quarts d’heure d’efforts à deux soigneurs compétents pour procéder au lavage complet d’un fou de Bassan. Après le rinçage, l’oiseau procèdera de lui même à l’essorage en s’ébrouant dans la grande caisse qui fait office de séchoir.
S’il est de constitution robuste, si les ingestions d’hydrocarbures n’ont pas causé de dégâts irrémédiables, l’oiseau profitera d’une période de convalescence dans les bassins de soins du CHENE et retrouvera la mer en espérant qu’une autre pollution ne lui sera pas fatale.

Pierre Demeure

[audio:lavage_fou.mp3]

Ambiance de la salle de soins …


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