Les bords de champs cultivés, ultime refuge des mauvaises herbes ?

Exemple d'espèce ayant fortement régréssé : Orlaya à grandes fleurs (Orlaya grandiflora) - copyright INRA

Quel est l’impact potentiel de l’évolution des pratiques et paysages agricoles sur la végétation ? Pour y répondre, des chercheurs de l’unité de Biologie et gestion des adventices de de l’INRA de Dijon ont entrepris de quantifier la contribution des différents éléments d’un paysage agricole dans la composition et la diversité floristique.

A partir de relevés de la flore adventice (les « mauvaises herbes ») réalisés à trente ans d’intervalle, les chercheurs ont analysé l’évolution des espèces recensées à l’intérieur des parcelles cultivées. Ils ont aussi comparé la composition et la fréquence des adventices à l’intérieur des champs et dans les bordures considérées ici comme la bande la plus externe de la culture et faisant l’interface avec les talus, les chemins ou les haies attenantes. 222 espèces observées au cours de l’une ou l’autre des deux campagnes de suivi (réseau Biovigilance Flore) ont été comparées entre 1968-1976 et 2005-2006, sur les mêmes 158 parcelles de Côte d’Or.

Dynamique de disparition
En 30 ans, le nombre moyen d’espèces par parcelle cultivée (richesse spécifique) a chuté de 44% alors que le nombre moyen de mauvaises herbes par m2 (densité) a, quant à lui, diminué de 67%. Les parcelles sont donc globalement beaucoup plus « propres » de nos jours. La composition des communautés adventices s’est également fortement modifiée. Sur les 188 espèces recensées lors de la première campagne, 67 ont disparu contre seulement 34 nouvelles espèces recensées en 2005-2006.

Un tiers de ces espèces disparues des parcelles cultivées depuis les années 1970 ne se trouve plus que dans les bords des champs. Ceux-ci abritent dorénavant plus d’espèces végétales que l’intérieur des parcelles. Cette répartition touche aussi bien les espèces rares à valeur patrimoniale que les espèces les plus communes. Aujourd’hui, les bords des champs accueillent les reliques des populations adventices en déclin.

Ce déclin pourrait être d’autant plus préoccupant qu’il affecte des espèces reconnues pour leur rôle bénéfique dans le paysage agricole. Le fonctionnement des agro-systèmes pourrait en être affecté en privant certains oiseaux granivores ou insectes phytophages de sources de nourriture (pollen, nectar, graines…) ou d’habitat qu’elles procurent. D’ores et déjà, les chercheurs ont observé une disparition plus marquée des espèces pollinisées par les insectes. Les chercheurs de l’INRA de Dijon débutent des études complémentaires sur les relations entre les adventices et certains insectes, notamment les carabes dont certains sont prédateurs de graines des mauvaises herbes.

Longtemps considérées comme nuisibles, les mauvaises herbes des zones de culture ne bénéficient d’aucun statut de protection. Parmi les espèces de mauvaises herbes disparues complètement des parcelles cultivées, certaines, d’une grande valeur patrimoniale, sont sur la liste rouge du Plan national d’action pour la conservation des plantes messicoles, comme la gagée des champs (Gagea Villosa) et la nigelle des champs (Nigella Arvensis). Concilier l’activité de production agricole et le maintien de la biodiversité en zone de grandes cultures constitue un enjeu de recherche auquel participent les travaux sur l’évolution de la flore adventice.

Les bords de champs constituent un habitat probablement privilégié, dans l’espace cultivé, pour les espèces adventices moins compétitives car ils combinent à la fois moins de contraintes en termes de traitements herbicides ou fertilisants, et moins de perturbations liées au travail du sol. Les stocks de semences y seraient donc aussi plus importants. Ainsi, les bords de champs auraient un rôle à jouer dans le maintien de la diversité des espèces. Ne faisant pas l’objet de réglementation particulière d’aménagement, leur rôle à long terme dans la conservation des espèces adventices demeure toutefois incertain.

Le réseau Biovigilance Flore

Mis en place en 2002 par le Service de la protection des végétaux avec la collaboration de scientifiques de l’unité mixte de recherche Biologie et gestion des adventices, le réseau Biovigilance Flore vise à détecter, analyser et interpréter les changements de la flore en relation avec l’évolution des techniques culturales, à partir d’un suivi annuel d’environ 1000 parcelles couvrant toute la France.

 

Références :
Fried, G. et al., Arable weed decline in Northen France : Crop edges as refugia for weed conservation? Biological Conservation 142 (2009) 238-243, publié en ligne le 8 novembre 2008

Contacts : 

Xavier REBOUD
tél. : 03 80 69 31 81
xavier.reboud@dijon.inra.fr
Unité mixe de recherche « Biologie et gestion des adventices »
départements « Santé des plantes et environnement » et «Environnement et agronomie »
centre INRA de Dijon

ou :
Guillaume FRIED
Tel. : 04 99 61 26 59
fried@supagro.inra.fr
Laboratoire National de la Protection des Végétaux (LNPV) Station de Montpellier